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L’Afrique romaine : terre de littérature latine !

Dans le cadre de sa collaboration avec l’Université de Lausanne et plus particulièrement avec la section des Sciences de l’Antiquité, la BCUL vous initie à la littérature latine en Afrique romaine avec Dylan Bovet!

Pendant l’Antiquité, l’Afrique du Nord est d’abord la terre des Libyens – c’est-à-dire des Berbères, sédentaires sur la côte, nomades le long du Sahara. On y parle tôt le grec à l’est (en Cyrénaïque, colonie de Théra dès le VIIe siècle av. J.-C. et dans l’Égypte lagide) tandis que l’influence punique s’étend à l’ouest avec l’arrivée des Phéniciens et la création de comptoirs maritimes dès le IXe avant notre ère, Carthage, la « Nouvelle Ville », en particulier. Des traits de civilisation libyco-puniques se développent, alors que l’empire Carthaginois grandit jusqu’à menacer le pouvoir romain, entraînant les trois célèbres guerres puniques (264-241 ; 218-203 ; 149-146 av. J.-C.).

Timgad, Algérie

La chute de Carthage donne lieu à une conquête progressive du territoire nord-africain à l’ouest sur près de deux siècles (146 av. J.-C. – 42 ap. J.-C.). Elle est rythmée par des alliances ou des inimitiés avec les rois numides et maures, des legs et des interventions militaires dictant la politique romaine. Progressivement annexé à l’empire, le territoire compris entre l’océan Atlantique, la Méditerranée et le Sahara est le berceau d’une romanisation tout particulièrement intense autour de l’ancien territoire de Carthage, reconstruite à partir de 29 av J.-C. Les provinces de l’Afrique proconsulaire, de la Numidie ainsi que la Maurétanie Césarée ont livré des trésors archéologiques (Timgad, Leptis Magna, Lambèse, Cherchell), mais ont aussi été les terres natales de certains des monuments les plus célèbres de la littérature latine et de la pensée chrétienne (Fronton, Apulée, Tertullien, Augustin, Cyprien).

Hugoniot, C., 2019, « L’Afrique romaine, huit siècles de métissage », dans La grande histoire de l’Afrique, coll. Les Grands Dossiers de l’Histoire N° 8 (décembre 2019- janvier 2020)

L’étude des œuvres des auteurs d’expression latine étant nés ou ayant vécu dans cette partie du monde méditerranéen depuis les premières interactions romaines, jusqu’à l’aube de la conquête arabe du Maghreb au VIIe siècle – de Magon le Carthaginois à Corippe en somme – est passionnante à plusieurs titres. Tout d’abord parce que la production littéraire africaine prend une ampleur considérable entre les IIIe et IVe siècles au point que la majeure partie de la littérature latine conservée pour cette période est africaine. Ensuite, parce qu’elle opère un décentrement de la capitale, Rome, permettant d’explorer les spécificités et enjeux de ce contexte singulier, à la fois à la périphérie de l’empire et profondément intégré au cœur même du pouvoir et de la culture romaine. L’Afrique romaine a ainsi fournit des théoriciens de la langue latine, de la rhétorique, de la grammaire, de la poétique, de la juridiction, des conseillers des empereurs – et même des empereurs, les Sévères – mais aussi des poètes de plus ou moins large envergure, des panégyristes, des fervents défenseurs de la cause et de la foi chrétienne, des penseurs qui ont établi la doctrine du christianisme et des érudits qui ont voulu sauver les savoirs et les textes de l’Antiquité dans les périodes de troubles, sous la domination des Vandales (435-533) puis des Byzantins (533-698).

Lambèse-Tazoult, Algérie

Ce contexte géographique, historique et culturel pose la question de l’Afric(an)itas des textes latins d’Afrique : y a-t-il une manière particulière de faire usage du latin chez les auteurs africains (Africitas) ? Ne faut-il pas voir plutôt, dans les textes, une Africanité irréductible au fait d’être né et d’avoir vécu en Afrique tout en ayant assimilé la culture romaine ? S’agit-il d’une réalité ou d’un fantasme aux implications racistes et coloniales, développé surtout par les chercheurs du XIXe siècle ? D’autant que, ces dernières décennies, la littérature latine en tant qu’expression culturelle des peuples d’Afrique du Nord datant d’avant l’arabisation et l’islamisation, est aussi rentrée dans les revendications identitaires et sert une émancipation berbère, post-coloniale. Voici autant de preuves que le monde contemporain ne cesse de se (ré)emparer d’une littérature aux facettes multiples et issue d’un héritage pluriel qui mérite nos lectures, des plus curieuses aux plus attentives !

Dylan Bovet, chargé de cours en littérature latine dans la section d’Archéologie
et des sciences de l’Antiquité

Littérature latine africaine