Accueil / Printemps de la poésie
Dans le cadre du festival du « Printemps de la poésie », poèmes et extraits de poèmes mettant en scène ou thématisant les charmes, chants et enchantements poétiques, de l’Antiquité à l’époque contemporaine, fleurissent dès le 15 mars 2025 sur les écrans et les réseaux de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne. En parallèle à cette action, nous vous proposons une exposition de recueils de poésie sélectionnés parmi les collections académiques, à découvrir sur le site Unithèque du 14 mars au 28 mars 2025 ainsi que dans le catalogue Renouvaud.
Tal vez esta noche no es noche,
debe ser un sol horrendo, o
lo otro, o cualquier cosa…
¡Qué sé yo! ¡Faltan palabras,
falta candor, falta poesía
cuando la sangre llora y llora!
¡Pudiera ser tan feliz esta noche!
Si sólo me fuera dado palpar
las sombras oír pasos,
decir “buenas noches” a cualquiera
que pasease a su perro,
miraría la luna, dijera su
extraña lactescencia, tropezaría
con piedras al azar, como se hace.
Pero hay algo que rompe la piel,
una ciega furia
que corre por mis venas.
¡Quiero salir! Cancerbero del alma:
¡Deja, déjame traspasar tu sonrisa!
¡Pudiera ser tan feliz esta noche!
Aún quedan ensueños rezagados.
¡Y tantos libros! ¡ Y tantas luces!
¡Y mis pocos años! ¿Por qué no?
La muerte está lejana. No me mira.
¡Tanta vida Señor!
¿Para qué tanta vida?
Alejandra Pizarnik, « Noche/Nuit », La última inocencia/La dernière innocence
Peut-être que cette nuit n’est pas la nuit,
ce doit être un soleil horrible, ou
autre chose, ou n’importe quoi…
Que sais-je ! Manquent les mots,
manque la candeur, manque la poésie
lorsque le sang pleure, pleure !
Je pourrais être si heureuse cette nuit !
Si seulement il m’était donné de palper
les ombres, d’entendre des pas,
de dire « bonne nuit » à celui
qui promènerait son chien,
je regarderais la lune, je dirais son
étrange lactescence, je trébucherais
sur des pierres au hasard, comme ça se fait.
Mais il y a quelque chose qui déchire la peau,
une furie aveugle
qui coule dans mes veines.
Je veux sortir ! Cerbère de l’âme :
Laisse, laisse-moi traverser ton sourire !
Je pourrais être si heureuse cette nuit !
Il reste encore des rêveries tardives.
Et tant de livres ! Tant de lumières !
Et mes années si brèves ! Pourquoi pas ?
La mort est loin. Elle ne me regarde pas.
Tant de vie Seigneur !
Pourquoi tant de vie ?
(Traduit de l’espagnol [Argentine] par Jacques Ancet)
Einmal nahm ich zwischen meine Hände
dein Gesicht. Der Mond fiel daraf ein.
Unbegreiflichster der Gegenstände
unter überflieβendem Gewein.
Wie ein williges, das still besteht,
beinah war es wie ein Ding zu halten.
Und doch war kein Wesen in der kalten
Nacht, das mir unendlicher entgeht.
O da strömen wir zu diesen Stellen,
drängen in die kleine Oberfläche
alle Wellen unsres Herzens,
Lust und Schwäche,
und wem halten wir sie schlieβlich hin?
Ach dem Fremden, der uns miβverstanden,
ach dem andern, den wir niemals fanden,
denen Knechten, die uns banden,
Frühlingswinden, die damit entschwanden,
und der Stille, der Verliererin.
Rainer Maria Rilke, Gedichte an die Nacht/Poèmes à la nuit
Une nuit je pris entre mes mains
ton visage. La lune l’éclairait.
Ô la plus insaisissable des choses
sous un excès de pleurs.
C’était presque un objet docile, simplement là,
calme comme une chose, à le tenir.
Et cependant il n’était pas, dans la froide
nuit, d’être qui m’échappât plus infiniment.
Ô ce sont là les lieux vers lesquels nous affluons,
pressons vers l’étroite surface
toutes les vagues de nos cœur,
désir et faiblesse,
et pour finir, à qui les dédions-nous ?
Hélas, à l’étranger qui s’est mépris sur nous,
à l’autre hélas que nous ne trouvâmes jamais,
à ces domestiques qui nous attachèrent,
à des vents de printemps qui de ce fait s’enfuirent,
et au silence, ce vaincu.
(Traduit de l’allemand [Autriche] par Gabrielle Althen et Jean-Yves Masson)
Talia dicentem nervosque ad verba moventem
exsangues flebant animae; nec Tantalus undam
captavit refugam, stupuitque Ixionis orbis,
nec carpsere iecur volucres, urnisque vacarunt
Belides, inque tuo sedisti, Sisyphe, saxo.
tunc primum lacrimis victarum carmine fama est
Eumenidum maduisse genas, nec regia coniunx
sustinet oranti nec, qui regit ima, negare,
Eurydicenque vocant: umbras erat illa recentes
inter et incessit passu de vulnere tardo.
Ovide, Les Métamorphoses, Livre X, Orphée et Eurydice
Aux tristes accents de sa voix, accompagnés des sons plaintifs de sa lyre, les ombres et les mânes pleurent attendris. Tantale cesse de poursuivre l’onde qui le fuit. Ixion s’arrête sur sa roue. Les vautours ne rongent plus les entrailles de Tityos. L’urne échappe aux mains des filles de Bélus, et toi, Sisyphe, tu t’assieds sur ta roche fatale. On dit même que, vaincues par le charme des vers, les inflexibles Euménides s’étonnèrent de pleurer pour la première fois. Ni le dieu de l’empire des morts, ni son épouse, ne peuvent résister aux accords puissants du chantre de la Thrace. Ils appellent Eurydice. Elle était parmi les ombres récemment arrivées au ténébreux séjour. Elle s’avance d’un pas lent, retardé par sa blessure. Elle est rendue à son époux : mais, telle est la loi qu’il reçoit : si, avant d’avoir franchi les sombres détours de l’Averne, il détourne la tête pour regarder Eurydice, sa grâce est révoquée ; Eurydice est perdue pour lui sans retour.
Ovide, Les Métamorphoses, Livre X, Orphée et Eurydice
À la mémoire de Pablo Neruda
Est-il rompu le champ du repos
qui tenait coites les mâchoires de nos aïeux
comme des souris ailées
qui ne rêvent que d’obstacles
est-elle battue la brèche
où s’engouffraient en grappes
nos vœux de longue haleine et de pain frais
oh quelle loupiote s’éteint
dans le petit hameau de notre tête
« Menez les bœufs » disait-on autrefois
« menez les bœufs à des prés plus intimes »
et l’on tirait les bêtes par les cornes
jusque dans les taillis où flottent les cotillons
c’était notre folie de croire
que le pardon couronne ces malicieux écarts
Écoutez-moi braves gens
il est temps que vous entendiez
l’agneau qui est en moi
vous parler le langage du loup
faites taire vos fourchettes et ne pleurnichez pas
en écoutant l’histoire que je vais vous conter.
[…]
Voyons braves gens
ne bâillez pas davantage
mesdemoiselles essuyez vos paupières
mon histoire est finie
ne la répétez pas surtout
on vous prendrait par le collet
en vous jetant dehors
ou bien plus sottement
on se rirait de vous
la seule chose qui maintenant importe
c’est que moi seul m’en souvienne
et ne l’oublie jamais
ne l’oublie jamais ne l’oublie jamais.
… C’était le deux juillet
et les tilleuls mouraient
sous l’averse d’abeilles.
Alexandre Voisard, « V. La poésie est toujours debout », Les rescapés et autres poèmes
Come ceppo talor, che le medolle
Rare e vòte abbia, e poasto al fuoco sia,
poi per gran calor quell’aria molle
resta consunta ch’in mezzo l’empia,
dentro risuona, e con strepito bolle
tanto che quel furor truovi la via ;
così murmura e stride e si coruccia
quel mirto offeso, e al fine apre la buccia.
Onde che mesta e flebil voce uscio
Espidita e chiarissima favella,
e disse : «Se tu sei cortese e pio,
come dismostri alla presenza bella,
lieva questo animal da l’arbor mio :
bassti che ‘l mio mal proprio mi flagella,
senza altra pena, senza altro dolore
ch’a tormentarmi ancor venga di fuore. »
Al primo suon di quella voce torse
Ruggiero il viso, e subito levosse ;
E poi ch’uscir da l’arbore s’accorse,
stupefatto restò più che mai fosse.
A levarne il destrier corse ;
E con le guancie di vergogna rosse :
« Qual che tu sii, perdonami (dicea),
O spirito umano, o boschereccia dea.”
Ludovico Ariosto, Orlando furioso (chant 6).
De même qu’une bûche qui n’a
Qu’un peu de moelle creuse et qui est mise au feu,
Dès que par la chaleur intense est consumé
Cet air humide dont son milieu était plein,
Retentit en dedans et bout avec fracas
Tant que cette fureur ne trouve pas d’issue ;
De même aussi murmure et crie et se courrouce
Ce myrte offensé ; puis il ouvre son écorce.
Il en sort, prononcées d’une voie triste et faible,
Ces paroles distinctes et très claires.
Elle dit : « Si tu es courtois et pitoyable,
Ainsi que le montre une belle apparence,
De mon arbre au plus vite ôte cet animal :
Je souffre bien assez de mon propre malheur,
Sans qu’une autre douleur et sans qu’une autre peine
S’en viennent du dehors me tourmenter aussi. »
Aux tout premiers accents de cette voix, Roger
Tourna le visage et se leva aussitôt ;
Et quand il s’aperçut qu’elle sortait de l’arbre,
Il resta stupéfait plus qu’il ne fut jamais.
Il courut aussitôt détacher le coursier,
Puis, avec sur ses joues, la rougeur de la honte :
« Pardonne-moi », s’écria-t-il, « qui que tu sois,
Esprit humain ou bien déesse de ce bois . »
L’Arioste, Roland Furieux (chant 6).
I haven’t written in ages
‘cause I’d rather stare at you than stare at pages.
But what would be great is
making a poem that could be half as courageous
as you when you’re naked.
I try for a minute–
Your love is my metal, your kisses my rivets.
You are like the ocean beneath the slick of a spillage.
Fuck the poem.
There’s a bed here
and you want me in it.
Kae Tempest, « Fuck the poem/Rien à foutre du poème », Hold your Own/Étreins-toi
Je n’ai pas écrit depuis une éternité
parce que je préfère te regarder toi plutôt que des
feuilles de papier
Mais ce qui serait génial ce serait
d’écrire un poème qui pourrait avoir la moitié de ton
courage
quand tu es nue.
J’essaye une minute–
Ton amour est mon métal, tes baisers mes rivets.
Tu es comme l’océan sous une nappe de pétrole.
Rien à foutre du poème.
Il y a un lit ici
et tu me veux dedans.
(Traduit de l’anglais [Royaume-Uni] par Louise Bartlett)
Σειρῆνας μὲν πρῶτον ἀφίξεαι, αἵ ῥά τε πάντας
ἀνθρώπους θέλγουσιν, ὅτις σφεας εἰσαφίκηται.
ὅς τις ἀιδρείῃ πελάσῃ καὶ φθόγγον ἀκούσῃ
Σειρήνων, τῷ δ᾿ οὔ τι γυνὴ καὶ νήπια τέκνα
οἴκαδε νοστήσαντι παρίσταται οὐδὲ γάνυνται,
ἀλλά τε Σειρῆνες λιγυρῇ θέλγουσιν ἀοιδῇ
ἥμεναι ἐν λειμῶνι, πολὺς δ᾿ ἀμφ᾿ ὀστεόφιν θὶς
ἀνδρῶν πυθομένων, περὶ δὲ ῥινοὶ μινύθουσι.
Homère, L’Odyssée, Chant XII, vers 40 à 46
D’abord tu rencontreras les Sirènes, séductrices de tous les hommes qui s’approchent d’elles :
Celui qui, poussé par son imprudence, écoutera la voix des Sirènes, ne verra plus son épouse ni ses enfants chéris qui seraient cependant charmés de son retour.
Les Sirènes couchées dans une prairie captiveront ce guerrier de leurs voix harmonieuses.
Autour d’elles sont les ossements et les chairs desséchées des victimes qu’elles ont fait périr.
Homère, L’Odyssée, Chant XII, vers 40 à 46
Dans le crépuscule fané
Où plusieurs amours se bousculent
Ton souvenir gît enchaîné
Loin de nos ombres qui reculent
O mains qu’enchaîne la mémoire
Et brûlantes comme un bûcher
Où le dernier des phénix noire
Perfection vient se jucher
La chaîne s’use maille à maille
Ton souvenir riant de nous
S’enfuit l’entends-tu qui nous raille
Et je retombe à tes genoux
Guillaume Apollinaire, « Dans le crépuscule fané », Vitam impendere amori [dans Œuvres poétiques]
« Heureux qui comme Ulysse
a fait un beau voyage. »
Joachim du Bellay
Quiero invitar a bailar a Ulises,
quiero beber con él y que me cuente
de qué color eran los ojos del joyen Aquiles.
Quiero que me cante el canto de las sirenas
y me diga de sus noches de insomnio
sobre las aguas del Mediterráneo.
Quiera saber de su complicidad con Circe
en la isla de Ea y de sus etrañas
ceremonias y encantamientos.
Quiero que Ulises me haga el amor
y en la cama me cuente
cómo eran los vestidos de Helena
y si Paris fue como lo pinta Rubens.
Quiero saber qué vio en el país de los Lotófagos,
de qué color eran las montañas de Eólide.
Quiero que me cuente por qué regresó a Ítaca.
María Mercedes Carranza, « Quiero bailar con Ulises/Je veux danser avec Ulysse », Je ne vis pas dans un jardin de roses
« Heureux qui comme Ulysse
a fait un beau voyage. »
Joachim du Bellay
Je veux inviter Ulysse à danser,
je veux boire avec lui et qu’il me raconte
de quelle couleur étaient les yeux du jeune Achille.
Je veux qu’il me chante le chant des sirènes
et me parle de ses nuits sans sommeil
sur les eaux de la Méditerranée.
Je veux entendre le récit
de son union avec Circé
sur l’île d’Ééa,
ses étranges cérémonies
et ses sortilèges.
Je veux qu’Ulysse me fasse l’amour
et qu’il me décrive au lit
les vêtements d’Hélène et si Pâris
était comme l’a peint Rubens.
Je veux savoir ce qu’il a vu au pays des Lotophages,
de quelle couleur étaient les montagnes d’Éolie.
Je veux qu’il me raconte pourquoi il est revenu à Ithaque.
(Traduit de l’espagnol [Colombie] par Alexandre Lecoultre)
Farai un vèrs de dreit nient :
Non èr de mi ni d’autra gent,
Non èr d’amor ni de joyent,
Ni de ren au,
Qu’enans fo trobats en dorment
Sobre chevau.
Non sai en qual’ ora∙m fui nats,
Non soi alegres ni irats,
Non soi estranhs ni soi privats
Ni non puèsc au,
Qu’enaissí fui de nuèit fadats
Sobr’ un puèg au(t).
Non sai quora∙m fui endormits,
Ni quora∙m velh, s’òm non m’o ditz ;
Per pauc non m’es lo còr partits
D’un dòl corau :
E non m’o prètz una fromits,
Per sant Marçau !
Malauts soi e cre mi morir :
E ren non sai mas quand n’aug dir.
Mètge querrrai al mieux albir,
E no∙m sai tau ;
Bon mètges èr, si∙m pòt guérir,
Mor non, s’amau. […]
Guilhelm de Peitèus, « Farai un vèrs de drei nient/Je ferai une chanson de pur néant », Anthologie des troubadours
Je ferai une chanson de pur néant ;
Il n’y sera question ni de moi ni d’autrui,
Il n’en sera ni d’amour ni de jeunesse,
Ni de rien d’autre ;
Je viens de la composer en dormant
Sur mon cheval.
Je ne sais à quelle heure je suis né,
Je ne suis ni joyeux ni attristé,
Je ne suis ni farouche ni familier,
Je n’en puis mais,
Car j’ai été ainsi doté de nuit
Sur une haute colline.
Je ne sais quand je me suis endormi,
Ni quand je veille, si on ne me le dit pas ;
Peu s’en faut que mon cœur ne soit brisé
D’un chagrin déchirant ;
Mais je m’en moque comme d’un rien,
Par saint Martial ! […]
Je suis malade et pense mourir ;
Et ne sais rien d’autre que ce que j’entends dire.
Je chercherai un médecin à ma convenance,
Mais je n’en connais aucun de tel ;
Il sera un bon médecin s’il peut me guérir,
Mais non, si mon mal s’aggrave.
(Traduit de l’ancien occitan [France] par Paul Fabre)
The weight of the world
is love.
Under the burden
of solitude,
under the burden
of dissatisfaction
the weight,
the weight we carry
is love.
Who can deny?
In dreams
it touches
the body,
in thought
constructs
a miracle,
in imagination
anguishes
till born
in human–
looks out of the heart
burning with purity–
for the burden of life
is love, […]
Allen Ginsberg, « Song/Chant », Howl and other poems/Howl et autres poèmes
Le poids du monde
est l’amour.
Sous le fardeau
de la solitude
sous le fardeau
de l’insatisfaction
le poids
le poids que nous portons
est l’amour.
Qui peut le nier ?
En rêve
il touche
le corps,
en pensée
construit
un miracle,
en imagination
angoisse
jusqu’à naître
en humain–
regarde en sortant du cœur
brûlant de pureté–
car le fardeau de la vie
est l’amour, […]
(Traduit de l’anglais [États-Unis] par Robert Cordier et
Jean-Jacques Lebel)
Mieleni minun tekevi, aivoni ajattelevi
lähteäni laulamahan, saa’ani sanelemahan,
sukuvirttä suoltamahan, lajivirttä laulamahan.
Sanat suussani sulavat, puhe’et putoelevat,
kielelleni kerkiävät, hampahilleni hajoovat.
Veli kulta, veikkoseni, kaunis kasvinkumppalini!
Lähe nyt kanssa laulamahan, saa kera sanelemahan
yhtehen yhyttyämme, kahta’alta käytyämme!
Harvoin yhtehen yhymme, saamme toinen toisihimme
näillä raukoilla rajoilla, poloisilla Pohjan mailla.
Lyökämme käsi kätehen, sormet sormien lomahan,
lauloaksemme hyviä, parahia pannaksemme,
kuulla noien kultaisien, tietä mielitehtoisien,
nuorisossa nousevassa, kansassa kasuavassa:
noita saamia sanoja, virsiä virittämiä
vyöltä vanhan Väinämöisen, alta ahjon Ilmarisen,
päästä kalvan Kaukomielen, Joukahaisen jousen tiestä,
Pohjan peltojen periltä, Kalevalan kankahilta.
Elias Lönnrot, « Ensimmäinen runo/Chant I », Le Kalevala
Voici qu’un désir me saisit,
L’idée m’est venue à l’esprit
De commencer à réciter,
De moduler des mots sacrés,
D’entonner le chant de famille,
Les vieux récits de notre race ;
Les mots se fondent dans ma bouche,
Les paroles lentement tombent,
Elles s’envolent de ma langue,
Se dissipent entre mes dents.
Frère aimé, compagnon chéri,
Beau camarade de jeunesse,
Viens vite chanter avec moi,
Approche-toi pour réciter,
Puisque nous voici réunis
Provenant de lieux différents ;
Rarement nous nous rencontrons,
Nous nous retrouvons avec peine
Dans notre triste territoire,
Dans nos pauvres terres du nord.
Approche ta main de ma main,
Glisse tes doigts entre mes doigts
Pour entonner nos plus beaux chants,
Pour réciter nos meilleurs contes ;
Nos amis prêteront l’oreille,
Nos compagnons écouteront,
Dans la jeunesse qui grandit,
Parmi la race adolescente,
Les chants reçus de nos ancêtres,
Les mos tirés du ceinturon
Du ferme et vieux Väinämöinen,
De la forge d’Ilmarinen,
Du glaive de Kaukomieli,
Ou de l’arc de Joukahainen,
Au fond des champs de Pohjola,
Dans les landes de Kaleva.
(Traduit du finnois par Jean-Louis Perret)
« O chiunque tu sia, che voglia o caso
Peregrinando adduce a queste sponde
Meraviglie maggior l’orto o l’occaso
Non ha di ciò che l’isoletta asconde.
Passa, se vuoi vederla. » E persuaso
Tosto l’incauto a girne oltra quell’onde ;
E perché mal capace era la barca,
Gli scudieri abbandona ed ei sol varca.
Come è là giunto, cupido e vagante
Volge intorno lo sguardo, e nulla vede
Fuor ch’antri ed acque e fiori ed erbe e piante,
Onde quasi schernito esser si crede ;
Ma pur quel loco è cosi lieto e in tante
Guise l’alletta ch’ei si ferma e siede,
E disarma la fronte e la ristaura
Al suove spirar di placid’aura.
El fiume gorgogliar fra tanto udio
Con novo suono, e là con gli occhi corse,
E mover vide un’onda in mezzo al rio
Che in se stessa si volse e si ritorse ;
E quinci alquanto d’un cin biondo uscio,
E quinci di donzella un volto sorse,
E quinci il petto e le mammelle, e de la
Sua forma infin dove vergogna cela.
Torquato Tasso, Gerusalemme liberata « La seduttrice seducente»
« Qui que tu sois, ô voyageur, que le hasard
Ou bien ta volonté amène sur ces bords,
Du levant au couchant, il n’est point de prodige
Supérieur à celui caché dans cet îlot.
Traverse si tu veux le voir. » Et l’imprudent
Se décide aussitôt à franchir la rivière ;
Et, comme le canot ne peut les contenir,
Abandonnant ses écuyers, il passe seul.
Arrivé là, il laisse errer autour de lui
Ses avides regards et ne voit rien sinon
Grottes et eaux, sinon plantes, herbes et fleurs,
De sorte qu’il croit presque avoir été joué ;
Mais cet endroit pourtant est si gai et le charme
Par tellement d’attraits qu’il s’arrête et s’assied,
Qu’il désarme son front et qu’il le rafraîchit
Au souffle caressant d’une brise légère.
Il entendit alors le fleuve bouillonner
Avec un bruit étrange : il y jeta les yeux
Et vit parmi les eaux se lever une vague
Qui s’enroula, se retourna sur elle-même ;
De là sortit un peu la blonde chevelure
Et d’une jeune fille émergea le visage,
De là sa gorge et ses tétons et son beau corps
Jusqu’à cet endroit où le cache la pudeur.
Torquato Tasso
I was called out
the big sky spoke to me
the dark wood spoke to me
the fire spoke to me
I was called out
I didn’t want to go
a girl was giving me smiles
I didn’t want to go
but I was called out
I fasted nine days
and then nine days
the nine days more
I saw the moon wax and wane
I saw the path of the wind
I saw a river in the sky
I saw a flight of blue stars
I saw a sea
that was milky and misty
and islands full of birds
sleeping in a tree’s roots
I had dreams and dreams:
strange language, strange
like the trembling of a thousand leaves
noises and nebulae
nebulae and noises
[…]
Kenneth White, « The Shaman’s Way/Le chemin du chamane », Openworld/Territoires chamaniques
Je fus appelé dehors
le grand ciel m’a parlé
le bois noir m’a parlé
le feu m’a parlé
je fus appelé dehors
je n’avais nulle envie de partir
une fille commençait à me sourire
je n’avais nulle envie de partir
mais je fus appelé dehors
j’ai jeûné neuf jours
et puis neuf jours
puis encore neuf jours
j’ai vu la lune croître et décroître
j’ai vu le sentier du vent
j’ai vu une rivière dans le ciel
j’ai vu un vol d’étoiles bleues
j’ai vu une mer
brumeuse et laiteuse
et des îles peuplées d’oiseaux
je dormais dans les racines d’un arbre
et faisais beaucoup de rêves :
un langage étrange, bien étrange
comme un millier de feuilles frémissantes
rumeurs et nébuleuses
nébuleuses et rumeurs
[…]
(Traduit de l’anglais [Écosse] par Marie Claude White)
Quin ipsae stupuere domus atque intima Leti
Tartara caeruleosque implexae crinibus anguis
Eumenides, tenuitque inhians tria Cerberus ora,
atque Ixionii vento rota constitit orbis.
“Iamque pedem referens casus evaserat omnis,
redditaque Eurydice superas veniebat ad auras…
Virgile, Les Géorgiques, IV, vers 481 à 486
Même au fond du Tartare, au séjour des supplices,
Le luth a suspendu le cours de la justice :
Cerbère au triple mufle a cessé d’aboyer ;
Le dieu des vents, Éole, oubliant de souffler,
Sur sa roue Ixion s’arrête de tourner ;
Et sur leurs fronts hideux les pâles Euménides
N’entendent plus siffler les serpents homicides.
Enfin, grâce à son luth, vainqueur du noir trépas,
L’aède harmonieux revenait sur ses pas.
Eurydice suivait ; mais une loi sévère
Défendait à l’amant tout regard en arrière.
Nul danger désormais : déjà, sur la hauteur,
Blanchissait faiblement une pâle lueur…
Virgile, Les Géorgiques, IV, vers 481 à 486,
Orphée et Eurydice